Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/06/2009

*

alexisp.jpg
Portrait d’Eliane Larus par son fils Alexis, âgé de quatre ans et demi.

 

 


En complément du site « Eliane Larus - écrits », qui donne à lire des textes rédigés par elle-même, celui-ci est constitué de textes écrits sur son parcours par différents critiques et historiens de l'art.

On trouvera dans la partie A propos différentes informations pratiques dont l’adresse d’un livre illustré consacré au parcours d'Eliane Larus, édité en 1994, maintenant disponible sur l’Internet.

mainsétoiléesp.jpg
Enfant siffleur aux mains étoilées - bois découpé peint recto/verso - 103 x 43 cm




Jean Dubuffet, peintre-sculpteur, théoricien de l’Art Brut -  1981

Je vois avec plaisir que vos travaux dans l’année écoulée se sont activement développés et épanouis. Les belles photographies que vous me communiquez en témoignent. Elles sont impressionnantes. Une verve très inventive s’y manifeste continuellement, à partir de leur conception et tout au long de leur exécution. Les peintures qui les historient sont des plus savoureuses et pleines de trouvailles dans tous leurs détails. En émane beaucoup d’émotion que je ressens fortement (...)


sufragp.jpg

La suffragette - bois découpé mural - 140 x 120 cm - 1984



Gérard Xuriguera, critique d’art - 1983


A l’écart des systèmes établis et des légitimations précaires s’élabore un art différent, qui défie la logique historique. Pour l’aborder, il importe de se libérer des codes esthétiques dominants et de toute scolastique. Dans ces régions clandestines, la psychologie créatrice, nourrie d’ivresse et de doute, livrée à l’inconnu, prend son plein sens. Ici encore, l’expérience artistique peut être saisie comme une éthique de l’innocence. Une éthique connotée par une dérision étrange, un délire contagieux, un retour à l’élémentaire dérivant aux frontières du songe.
L’itinéraire singulier d’Eliane Larus s’inscrit dans cette voie traversière apparentée aux axes si diversifiés de la peinture et sculpture d’aujourd’hui. Teintés de grotesque, ces personnages bidimensionnels nous donnent du réel un simulacre qui offre des terrains vierges à l’imaginaire. Dans leurs vêtures analogiques ponctuées de signes familiers, ils ajustent une vérité existentielle à l’état brut, où l’informulé cisèle la ressemblance à travers le filtre d’une ironie rarement agressive, sans maniérisme ni implication sociale délibérée .
Incisés dans le bois, découpés en reliefs polychromes, proches du totem par leurs configurations hiératiques parées d’accents archaïques, ces fantoches narquois dégagent une insolence naturelle, quelque chose de ludique et de fraternel qui séduit et dérange à la fois.
Ourlées de chimères flamboyantes, ces images signifiantes hautes en couleurs relèvent d’une mythologie fantasmatique restituée par une écriture métaphorique issue de l’immédiat observé. Et c’est par la vision ambiguë de ces différences qu’elles nous entraînent au-delà de la narration dans un monde où les nostalgies de l’enfance assiègent l’inconscient  des adultes et où l’irrationnel rejoint le possible.
Ainsi, fortement campés par des mains ferventes qui ont su redécouvrir les charmes austères des vertus artisanales, arrimés sur des socles ou déployés verticalement dans l’espace, ces êtres chamarrés nous invitent à l’évasion, au fil d’une rêverie poétique rude et généreuse.
En traçant cette galerie de portraits énigmatiques, Eliane Larus nous raconte à sa manière des fables d’un temps hors du temps. D’ailleurs, peut-être, comme l’a dit Rimbaud : « La vraie vie est ailleurs. Nous ne sommes pas au monde ».




angelap.JPG

Portrait d'Angela - bois découpé peint recto/verso - 43 x 27 cm - 1993

 

Harry Laus, écrivain - critique d’art - 1983


(…) Dans l’œuvre d’Eliane Larus, des retrouvailles avec l’enfance sont sensibles aussi bien dans le dessin que dans la palette, qui ont cette liberté et cette absence de préjugés esthétiques qui nous charment chez les enfants, et en lesquels nous reconnaissons l’authenticité chez les adultes.
Dans les tableaux-reliefs, cette artiste compose un univers vaste et diversifié, en des sortes de « flashs » juxtaposés où est libérée une quantité de faits que la mémoire à retenus et qui sont exprimés d’une manière picturale.
Le tableau-reliefs d’Eliane Larus est étudié dans ses moindres détails. Il suffit de rappeler que s’il n’en était pas ainsi il n’y aurait pas le relief qui sous-tend les thèmes choisis. Cependant, la manière intelligente et sensible avec laquelle elle résout les différents problèmes nous fait penser à un acte spontané, d’une spontanéité égale à celle des meilleurs artistes de l’imaginaire, sans exclure l’influence perceptible de la Nouvelle Figuration.
Il ne s’agit pas de classer l’art d’Eliane Larus. Nous cherchons en fait à mieux la comprendre afin de mieux profiter de son œuvre stimulante et troublante, ce qui est un point positif pour toute œuvre d’art qui se veut non pas conformiste mais provocatrice, qui ne conduit pas à l’indifférence mais à un sentiment profond de participation et d’analyse.




olvidap.jpg

Los olvidados - acrylique sur bois - 40 x 54 cm - 1995

 



Françoise Bataillon - critique d’art – 1987


C’est surtout par ses bois découpés, peints le plus souvent recto verso, et additionnés de subtils reliefs, qu’Eliane Larus s’est fait remarquer. Estimant avoir suffisamment exploré cette technique qui la situait à la frontière de la peinture et de la sculpture, elle choisit aujourd’hui plus volontiers le format rectangulaire, tout en gardant un support qui lui oppose résistance (contreplaqué, carton).
L’univers imaginaire et vivement coloré dans lequel elle évolue se matèrialise par une imbrication foisonnante d’images où l’homme, l’animal, le paysage et l’architecture cohabitent naturellement et sans hiérarchie. Devant la facture très spontanée de ces œuvres, on peut parler d’une figuration libre qui n’a que peu d’affinités avec le mouvement qui porte ce nom ( la toile Y en a marre de la BD y fait allusion).


aBDp.jpg
Y en a marre de la BD - acrylique sur bois - 100 x 100 cm - 1987



Le projet est ici de se débarrasser du carcan culturel et du poids sclérosant d’un apprentissage classique (Beaux-Arts). Une peinture donc, qui réfute tout intellectualisme  pour tenter de remonter le fil qui mène à l’innocence primordiale de l’enfance.  D’où le fait qu’on cite facilement comme ses proches parents l’art brut, Cobra, Dubuffet…
Dans ses cartons, l’artiste épure sa mise en scène (personnages gravés dans la couleur, palette limitée au jaune, au gris), laissant filtrer une émotion immédiate mais autrement connotée (résonnances archaïques). C’est finalement à travers le double langage formel du bois découpé, restructuré à l’intérieur de sa surface par un dessin rigoureux et dynamique, chromatiquement très riche, que l’œuvre d’Eliane Larus s’impose avec le plus de conviction et d’originalité.




johguerrep.JPG

Johnny s'en va-t-en guerre - bois découpé peint recto/verso - 177 x 77 x 3 cm - 1988

 


Gilbert Lascault, historien de l’art - 1988



Sur la planète Larus

(...) Eliane Larus se méfie de la notion de peinture naïve. Elle dit : “Je ne veux pas que mes figures soient naïves mais innocentes.” Ses peintures et sculptures évoquent souvent un univers qui ne connaîtrait ni péché, ni sentiment de culpabilité, ni désir de salut. Des femmes épanouies, des enfants heureux, des animaux libres s’y rencontrent, parfois près d’un palmier. L’art d’E. L. tourne autour du goût de la candeur, autour de l’amour de l’innocence, autour du désir de retrouver un état paradisiaque, autour de l’envie de vivre comme en un premier matin du monde. Peut-être vous souviendrez-vous alors, face à certaines de ses œuvres, des Chants de l’innocence (1789) de William Blake. Par exemple, vous relirez : “Quand les oiseaux éclatants rient dans l’ombre / Où se dresse notre table offrant cerises et noix / Viens vivre dans la joie et te joindre à moi / Chantant le doux refrain du rire.”



entrechienp.jpg

Entre chien et loup - acrylique sur carton - 50 x 65 cm - 1987

 

 

Jean-Clarence Lambert, écrivain - critique d’art - 1988


L’imagière

(…) Il s’est passé quelque chose de très remarquable au cours de cette Modernité à laquelle certains nous conseillent de dire adieu (les soi-disant postmodernes). Et c’est que la fuite en avant qui l’a caractérisée, fuite vers l’avenir, a été compensée, si l’on peut dire, par un véritable retour à l’original, une réactualisation des traditions profondes et d’un certain passé qu’il a fallu désenfouir, en nous-mêmes autant que dans la mémoire collective (l’amnésie collective). D’un côté, l’extrême élaboration d’un art de plus en plus conceptuel, de plus en plus “cosa mentale”, en un mot : de plus en plus urbain; et de l’autre, l’appel aux sources de l’être, la réactivation de l’instinct même de faire des images, dans sa spontanéité intemporelle, inculturelle.  Eliane Larus évidemment appartient à ce mouvement-là, qui est aussi une écologie de l’art.  Qu’elle ait été proche de Jean Dubuffet va de soi, et aussi qu’elle appartienne au même terroir que Chaissac. Mais les choses ne sont pas aussi claires, à la réflexion. Il s’est agi —Jorn pour Cobra l’a fort bien mis en lumière— de déconditionnement, de déstructuration, de délimitation et cela concerne les systèmes de présentation de l’espace tout autant que les techniques de peindre. Une vraie révolution : fraternité des espaces, égalité des choses et des êtres, liberté de l’imaginaire. Une révolution sensible.


 

barcelonep.jpg

Barcelona - acrylique sur bois - 81 x 100 cm - 1998






Bénédicte Martin, critique d’art - 1988

Eliane Larus ou la poésie figurée



(…) Cette place que Larus accorde à la matière concrète va aller en s’épurant, à la faveur de sa transposition en phénomène plastique : dans le grand format intitulé Mexico,  le registre du faux-semblant se déchire dans son expérience picturale.  Les plans colorés se décrochent par l’incision du trait. Le dessin rythmique est contrasté par l’emploi des diagonales, l’abondance de segmentation suggérant la texturalité « tremblante » du thème.
On comprend d’autant mieux que les bois découpés l’aient aidée à aller vers l’essentiel de la forme. Les sujets de ses bois découpés mais aussi de ses cartons grattés viennent extraire une figure de son contexte, qu’elle aime et privilégie ; elle s’en amuse, pour que cette figure puisse revivre dans un tout autre registre du jeu de multiples vies. Néophyte du ludisme, Larus maintient ses personnages dans les tenants et les aboutissants de son imaginaire. L’avant et l’arrière, sculptures en girouette, dialoguent. Mobiles sur leur socle les deux faces sont visibles ; l’avant montre des têtes paysagées, métamorphoses du camouflage, ou des chef indiens aux peintures de guerre, maquillage de l’artifice. Monde de l’enfance et de l’innocence, le vent tourne la face des choses… Le verso dévoile un univers blanc sur fond noir, où les raccourcis de l’expression linéaire vont au-delà de l’aspect technique et figuratif. Graffitis, griffures, une façon d’oblitérer l’étrangeté  de cet autre regard.
On parle souvent d’économie de moyens en art, formule vide de sens. Il faut se rappeler la calligraphie chinoise pour saisir la passion d’Eliane Larus pour les traits succincts et dépouillés. La deuxième partie de son œuvre, à partir de 1985, gagne en laconisme. Elle abandonne quelque peu les peintures-reliefs proprement dites pour une expression plus tactile par sa plasticité et sont expressivité. Entre le naturel et l’artificiel, ou plus encore, l’artifice, son art s’oriente vers un certain classicisme, si l’on entend par classique une notion d’équilibre et de mesure. Michael Lecomte, en 1984, le soulignait déjà : « On trouve dans certaines œuvres curieusement classiques par le choix et le traitement de la couleur, des transparences obtenues par des frottis et ciselées par les grains du relief. Le surprenant accord de ces vieux roses, de ses ors rustiques, de ces argents de quincaillerie et de ces bleus à l’ancienne, posés sur des visages décousus par un désordre primitif crée, grâce au choc des différences, un climat d’étrangeté au charme inhabituel. »
Variation sur l’homme et la nature, l’humanité picturale d’E.Larus s’exprime dans une maladresse volontaire. Ce qui pourrait être défaut devient qualité, lorsque le trait isole dans sa ténuité le sens poétique. Et l’on s’étonne alors devant le travail d’Eliane Larus comme Rolland Barthes devant celle de Cy Tombly où il s’émerveillait de voir comment parfois le gauche rejoint le rare.



Petitportraitp.jpg

Petit portrait - acrylique sur bois - 36 x 22 cm - 1996

 



Michel Giroud, directeur de Kanal Magazine - 1988

Depuis quelques années Eliane Larus délimite un téritoire personnel qu’on ne peut assimiler aux diverses tendances actuelles mais qui est le produit de son imaginaire grinçant, et comme la mise en scène d’une comédie de masques ou de figures grotesques librement traitées avec cette naïveté ironique qu’on peut trouver dans les peintures naïves du moyen-âge, dans l’imagerie populaire et les dessins d’enfants. Ce qu’elle fait ne sent pas l’école ni aucune tendence du moment, bien qu’elle appartienne à un champs précis à la frontière de l’art brut, dans les environs de Gaston Chaissac. «Art singulier », pour reprendre la dénomination de Frédéric Altmann, qui ne s’inscrit pas dans l’institution officielle mais appartient bien clairement à une grande famille d’isolés ou de solitaires bien plus nombreux qu’on ne pense et qu’on peut retrouver à La Fabuloserie d’Alain Bourbonnais, au Petit Musée du Bizard de Vence, à l’Œil de Bœuf à Paris. Elle replonge dans la source commune des arts primitifs, non par imitation ou influence culturelle, mais parce qu’elle n’a pas perdu la trace de ce territoire recouvert bien souvent par tous les savoir-faire intellectuels ou pseudo populaires qui nous envahissent. Chaissac et André Martel pour le langage, ont redécouvert ce territoire enfoui qui aujourd’hui commence à apparaître, sous les coups de boutoir de Dada, de Paul Klee, de Cobra, de Dubuffet, et de tous les solitaires qui osent surgir.

cwboyp.JPG

Cow-boy de fantaisie - Technique mixte sur tôle zinguée - 56 x 34 cm - 1988

(le personnage tient un lasso, absent sur cette photo)

 


Héliane Bernard, historienne et critique d'art - 1990



Univers naïf ? Larus est bien trop lucide. Elle joue, c’est certain, avec le matériau concret, avec ses rêves, ses enfances diverses, son imaginaire de carrousel. Ses personnages et animaux sont une galerie de l’étrange, de la tragicomédie. Elle exprime dans un espace original son univers mental. L’identification, si elle est possible, n’est qu’approximative. L’art est liberté quand il abandonne la référence à la réalité palpable. Le jouet est piège : un chien, à peine morcelé, est ici poésie légère.
Le monde d’Eliane Larus est particulier, fracturé. Son parcours est solitaire, ambivalent de joie et de mort, d’enfance et de douleur. Personne n’ose dire cette brisure intérieure.
Le moyen d’expression est autant la toile que le bois découpé peint par plans colorés qui cloisonnent l’espace. La surface est moins tourmentée dans les productions récentes, soit que les plages sont plus larges, soit que le trait suffise maintenant à Larus. La géométrie des angles s’adoucit grâce aux nuances multipliées des bleus, des blancs, des argents, des ocres.
Au commencement étaient la ligne et la couleur, la ligne virtuelle, intellectuelle, opposée par tempérament à la couleur, expressive, liée à l’homme.
La couleur, cette chair du monde, solidaire chez Larus de son support en bois, crée un objet singulier. Larus propose une fête de l’exhibition par facettes innombrables où les  couleurs s’allient aux formes, génèrent mouvement et matières et dont on ne peut préciser qui crée l’autre. Le continu/discontinu des nuances rompt l’espace imaginaire et induit le mouvement.
Après les Italiens, Les Romantiques et les Fauves, les Expressionnistes ont trouvé dans la couleur le moyen de l’action. Maintenant affranchie des supports classiques, elle est souveraine dans notre vie et dans l’art. Elle provoque ou repose chez Larus qui a, de toute façon, basculé hors des références traditionnelles.
Les techniques : grattage, découpe, etc., fondent le rythme dramatique ou ludique de l’artiste. Elle propose un univers où se reconnaîtront ceux qui franchissent allégrement le miroir d’Alice, pour des fêtes ou des drames, des rêves ou des cauchemars...


aaFantpastoralep.jpg

Fantaisie pastorale - acrylique sur bois - 80 x 80 cm - 1992


Larus théorise et réglemente ses élans dans l’élaboration de sa technique. Dans son itinéraire, il n’est d’art que dans une réflexion qui contrôle l’instinct. Elle répond à un code personnel qu’elle nous donne à déchiffrer. Au-delà de l’expression de son monde propre peut se lire un monde en fracture.
Actuellement,  Eliane Larus épure le trait de scie autant que la matière colorée qui s’y ajoute pour qu’existent, dans une liberté originale, ses nostalgies, ses “blues” ou ses bleus à l’âme.
Elle s’est intéressée, d’une façon plus passionnée que méthodique, à l’art du XXème siècle. Son travail singulier ne peut être assimilé aux œuvres d’Art Brut dont l’intérêt est de n’être ni réfléchies ni maîtrisées. C’est une peinture moderne, subjective et intimiste dans laquelle empirisme et idéalisme se rejoignent.


maisonfume.jpg

Scène de rue à la maison qui fume - acrylique sur bois - 70 x 70 cm - 1998




Michael Lecomte, critique d’art - 1994

Un parcours singulier



L’itinéraire d’Eliane Larus n’est guère propice à conforter le mythe de l’unité, vieille lune de la critique d’art qui oppose souvent identité et mouvement, conformité et mobilité d’une œuvre.
Pourtant, en dépit des apparences, les variations de genre qui caractérisent son œuvre, qu’elles soient nées du hasard ou de l’expérience, se dirigent toutes dans le même sens et s’ordonnent sans mal au sein de son évolution.
Celle-ci est, il est vrai, protéiforme : partie d’un épais relief sur bois suggéré par le désir de matérialiser la couleur et nourri d’une polychromie hardie, elle aboutit onze ans plus tard dans ses travaux sur carton à une technique en à-plat dont la couleur appliquée en jus est posée avec économie sur un support demeurant aux trois-quarts vierge.
La pittoresque période des reliefs, moment de générosité et d’abondance, s’est effacée aujourd’hui au profit d’une facture qui, comportant des tracés graphiques, des frottis, grattages, et même des transparences, économise ses moyens pour acquérir de la liberté. C’est une des raisons pour lesquelles, comme toute démarche créative et évolutive, l’aventure picturale de cette artiste est passionnante.
Entre ces extrêmes, Eliane Larus peint sur le cuivre et le verre, grave l’altuglas, incise la tôle, découpe le bois, gratte le linoléum, modèle la résine, avec des variations d’écriture et de style qui compliqueront la lecture de l’œuvre mais n’auront d’autre cause que l’assujettissement conscient de la forme au sujet.
Y’en a marre de la B.D. est ainsi brossée avec une sorte d’esbroufe. Mexico avec l’application qui convient aux hommages. L’usine est reprise trois fois pour exalter l’âcreté des fumées et le poids de l’hiver. Les plans géométriques si simples du Bonhomme au béret accusent son humble anonymat. Et si les traits balafrés de la Tête mexicaine expriment mieux que des mots la dureté d’une vie, les lignes subtilement hachurées de L’hélicoptère disent les vibrations et l’entêtement d’une machine...

ahelicop.jpg

Promenade en hélicoptère - acrylique sur bois - 150 x 150 cm - 1987


Cependant, le monde d’Eliane Larus a été longtemps regardé comme celui de la fête foraine ou du cirque, et la formule “figures clownesques”, ainsi qu’un fil gorgé d’une encre distraite, s’est plus d’une fois accrochée à la plume des critiques d’art.
Son œuvre est en effet déroutante à plus d’un titre. Mais nous verrons que cela n’empêche pas les personnages qu’elle a imaginés d’exister avec force et de montrer de l’invention. Son champ est vaste et ses sujets semblent illimités. Cela va de L’enfer au Paradis en passant par kobolds et sirènes, du minéral à l’animé en déclinant rochers, rivières, plantes, étoiles, hommes, chiens, chats, souris, bestioles diverses aux formes inattendues et cocasses, aux expressions touchantes et vraies. Les uns sont définis par une géométrie ludique remarquablement maîtrisée, les autres par une insolite humanité. Il s’agit d’un petit monde en soi, foule de portraits que la simplicité de leur titre a rendus aussi pathétiques qu’étonnamment ordinaires.
Une grande fraîcheur d’esprit servie par un souci plastique constant fait d’Eliane Larus un des rares peintres qui peuvent encore peindre une maternité sans prêter à sourire.
Les titres qu’elle donne à ses œuvres permettent de se livrer aisément au jeu des rencontres fortuites. Cela peut donner ce genre de fantaisie :
En haut de la scène le Petit chef indien enlève dans le chaos du Paysage menacé La voyageuse sous les yeux ébahis du Bonhomme fil de fer.
En bas, dans le Paysage aux squelettes, Tina, effrayée par la Tête masquée, préfère se jeter dans les bras incertains du Bonhomme-balance. Tandis que l’Enfant aux cheveux rouillés joue à La marelle dans La maison hantée...

 

 

bonanep.jpg

Le bonnet d'âne - bois découpé peint recto/verso - 85 x 42 cm - 1992

 

 

Nous pourrions ainsi nous amuser à l’infini —aidés ou non par des cadavres exquis— en disposant à notre guise les titres des peintures d’Eliane Larus. Ce jeu permettrait peut-être de nous convaincre que malgré la présence d’une Venus au bidon, d’un Bonhomme haut comme trois pommes et de plusieurs Chiens équilibristes, son univers appartient plus à la poésie qu’au cirque, et qu’il y a moins de poésie sous les vrais chapiteaux que dans ceux imaginés par les peintres, cinéastes ou écrivains.
Vers la fin des années soixante-dix, alors quelle n’a qu’une connaissance fragmentaire de l’œuvre de Dubuffet et de Chaissac, on reproche souvent à Eliane Larus d’être sous leur influence. Bientôt contrariée autant qu’intriguée, elle consulte les livres, est vite saisie par le talent extraordinaire de ces deux fortes personnalités. L’un est à l’évidence d’une culture et d’un brio étourdissants; elle voit en l’autre le prince des Singuliers. Elle découvrira plus tard que Chaissac est lui aussi un homme de culture qui, comme son découvreur, pense, invente, écrit comme personne. On ne peut nier qu’il y ait similitude entre l’art de ces deux grands artistes et le sien. Un long moment son univers vacille. Comme elle ne sait plus quoi penser, et Gaston Chaissac étant mort depuis longtemps, je lui conseille alors d’entrer en rapport avec Jean Dubuffet.
Cet homme passionné, fin, lucide, va tout de suite la rassurer. Durant ces années difficiles pendant lesquelles personne ne s’intéresse à elle (ni galeries, ni Salons) Jean Dubuffet va lui écrire, l’encourager, la faire entrer dans la Collection Neuve Invention du Musée de Lausanne, lui dire avec des mots touchants et superbes l’intérêt qu’il porte à sa peinture.
Grâce à l’inventeur du Pisseur à gauche et de L’ourloupe, E. Larus va découvrir l’Art brut, formule créée par lui en 1948 et qu’il définira plus tard avec précision, désignant l’art des isolés, des sans-grades, des "incultes". Pour Larus, c’est art-là, émouvant et inventif entre tous, semble puiser ses inventions aux racines du monde.

 

figrougep.jpg

Portrait à la tête rouge - acrylique sur médium - 41 x 33 cm -2000

 

Elle comprend alors que si on l’a trop souvent rapprochée de Dubuffet, de Chaissac, et des Cobra, c’est moins pour raison d’influence que par coïncidence de sources. Professeur de dessins dans les écoles primaires depuis plusieurs années, elle passe la plupart de son temps à faire dessiner des enfants. En retour, ceux-ci lui ont inconsciemment transmis l’une des bases essentielles de l’art de notre temps : la liberté. Avec Dubuffet, Chaissac et les Cobra, elle a ce point commun important : à la recherche, comme eux, d’une expression primordiale, instinctive, elle a été, elle aussi, subjuguée par l’enfance. Elle fait partie de ceux qui sont secrètement hantés par cette mélancolie.
Chez certains créateurs, quel que soit le mode d’expression, la nostalgie de l’enfance est le symptôme, la marque d’un talent soutenu. Fellini en est un bon exemple pour le cinéma, Colette, pour l’écriture. Chez quelques peintres —parmi lesquels se trouvent quelques-uns des artistes les plus importants du siècle— les stigmates sont encore plus évidents. Le regret d’un temps riche en sortilèges et irrémédiablement perdu est une des clés douloureuses du génie.
L’enfant ne s’exprime pas d'une façon confuse seulement à cause des limites de son vocabulaire et de la précarité de son jugement, mais aussi parce qu’il est immergé dans l’inexprimable. Pour cela, il est seul —avec le poète et le saint— à être présent à la réalité du monde. Avec eux il pourrait oser dire, lors des moments les plus aigus de ses contemplations : “je ne pense pas, donc je suis”.

 

 

 

evebleup.JPG
Eve en bleu - acrylique sur carton - 38 x 36 cm - 1987

 

Il serait intéressant de porter attention aux peintres déjà influencés par les trouvailles d’Eliane Larus : la petite histoire, les confidences d’atelier, expliquent parfois les revirements, les changements de direction et les coïncidences que notre commune distraction nous empêche d’interpréter.
Le fait est que la société des beaux-arts s’accommode bien du flou. Dans les catalogues des ventes publiques, on confond art moderne et art contemporain. Ici ou là : phénomène pictural et tournure décorative, états d’âme et préoccupations purement plastiques, suiveurs et suivis.
Le procédé de la peinture moderne ne consiste-t-il pas de toute façon —et plus encore que notre vision du monde— à compliquer la perception de l’œuvre d’art ? Dès 1957, en une formule lapidaire, Viktor Chklovski nous propose cette réflexion capitale : “Le procédé de l’art est le procédé de singularisation des objets, un procédé qui consiste à obscurcir la forme, à augmenter la difficulté et la durée de la perception.”
A ceci s’ajoute l’effet pervers et réducteur de la mode, propice à l’emballement d’un mouvement amplifié jusqu’à l’excès, et artisan majeur du plagiat. A l’implosion finale ne survivront que les plus inventifs. Et pour quelques décennies, les virtuoses de la mise en scène et de la séduction.
Mais Eliane Larus peint comme elle le sent. C’est à dire avec caractère, sautant allégrement du grave au dérisoire, du brut au raffiné, du dense au retenu. Supportant mal l’échéance d’une exposition, encore moins l’idée d’une commande. “J’ai voulu être peintre pour être libre !” lui arrive-t-il de dire sur le ton d’une nette déception lorsque la pression de l’extérieur devient trop forte.
Peu de peintres sont à ce point indifférents à l’idée de la réussite, désinvoltes quant à la perspective d’une possible renommée.

 


aaenamp.jpg

Enamorado - acrylique sur bois - 70 x 70 cm - 1997

 



Christine Frérot, historienne de l’art - 1994


La nostalgie retrouvée

Septembre 1985 : Mexico gémit, craque, se tord, se courbe et s’effondre. La terre s’ouvre et laisse entrevoir quelques secrets enfouis de son histoire. A six milles kilomètres de là, ce séisme est à la fois pour l’artiste magnétisée, la mort et la renaissance d’une civilisation, exhumée, révélée.
Eliane Larus n’a jamais cessé  d’être sous le choc, mais aujourd’hui, après plusieurs semaines passées au Mexique, l’image rêvée, lointaine d’hier, est devenue réalité. Et l’artiste est plus que jamais sous le charme : séduite et conquise, ayant conforté, renforcé, redécouvert ou rencontré enfin ce qu’elle dit être un attrait instinctif, irraisonné, inexplicable même pour ce pays. Dans cette terre du drame permanent, empreinte de dérision, grave et ludique à la fois, elle s’installe , fascinée, comme elle le fait dans sa propre peinture : en déséquilibre, peut-être, mais dans une instabilité mesurée et poétique où se joue l’essentiel de cette irréversibilité du temps, du temps figé et fuyant, du temps passé et à venir.
Similitudes, mais aussi contrastes et oppositions. Ce sont les facéties occultes du tragique, à la lisière des incertitudes, l’éclipse permanente du rire triste et insondable.
Eliane Larus a compris le Mexique bien avant de le connaître. En s’approchant très tôt de son art populaire, ou plutôt de ce qu’elle pouvait trouver à Paris qui ne soit pas ni trop exotique ni trop folklorisant ou racoleur  (son premier achat a été un petit avion en carton aux roues de capsules de Coca, piloté par un squelette articulé) et en observant les images de la statuaire précolombienne, elle a compris que l’idée et la représentation de la mort traversaient inexorablement l’art et l’essence même du Mexique profond.

 

 

aintermexp.jpg

Intérieur mexicain - acrylique et Ripolin sur toile - 1992



La séquence d’œuvres présentée dans cette exposition et qui a pour point de départ le tremblement de terre de 1985 (représenté ici par un grand dessin à l’encre sur tissu) est sans cesse traversée par cette fascination du thème de la mort pour lequel l’artiste à travaillé plusieurs années avec ses bois découpés (têtes balafrées, têtes brisées) et plusieurs de ses peintures. D’ailleurs, de nombreux titres : La petite mort, Paysage au squelette assis, Tête mexicaine, etc., expriment cette association mort-Mexique. Ils sont représentatifs de l’idée et s’attachent surtout à exprimer cette dérision autour de la mort qui la trouble.
Les aquarelles et encres de Chine au sucre peintes à Oaxaca et à San Cristobal essentiellement, racontent la tendresse d’Eliane pour ce pays. Loin de cette mort fêtée  pourtant joyeusement et qu’elle ira revivre en novembre prochain lors d’un autre séjour, elle a trouvé ce qu’elle cherchait, très vite, comme si elle savait déjà. Elle a compris que ce pays était intégré naturellement, depuis longtemps, à son imaginaire, de façon un peu magique, hors des barrières de la raison.
Etonnée par tant de béatitude, confondue, baignant dans cet imaginaire inépuisable, maladroit et émouvant, loquace et drôle, elle n’a pas oublié que dans l’ombre de cette apparente et trompeuse légèreté survit un peuple laissé pour compte, presque effacé. Car ce n’est pas seulement parce qu’elle aime Buñuel qu’Eliane Larus à peint Los olvidados.
Portée par une émotion instinctive qui la plonge dans cette ambivalence de fascination et de peur, elle est entrée de plein fouet dans ce jardin des délices d’où il lui sera difficile de s’échapper.

 

 


Christine Frérot, historienne de l’art - 2000


Figures Libres


Dans ses images où elle semble effleurer nostalgiquement les apparences, Eliane Larus transmet des bribes de tendresse. Pourtant, ce qui retient notre regard, c'est la parole, absente. Une parole muette qui traverse le silence de ses personnages, immobilisés et fugaces, transitoires et fragiles. Ce monde qui respire la légèreté de l'enfance, est celui où le chien, l'échelle, l'avion ou la maison (inachevée) ne sont que les passages, pourtant immuables, vers une autre réalité. C'est là que l'œuvre de Larus a sa véritable épaisseur, sa chair palpable, celle que l'on ne voit pas, celle que l'on devine parfois au-delà du miroir séduisant de la poésie, de l'humour ou de l'émotion. Si l'artiste revendique son besoin de liberté -autant celle du geste que de l'image et du sens- c'est parce qu'elle y inscrit une distance entre l'évocation de l'enfance et la conceptualisation d'un sentiment à chaque instant menacé.
Au détour d'une image que nous pourrions être tentés de trouver naïve et spontanée, il y a le travail du temps, celui de la mémoire. Il y a cette méditation sereine ou douloureuse des souvenirs bousculés par l'immédiateté mutilante du quotidien. Eliane Larus jongle avec le monde en transformant cet acte de mémoire en geste ludique, jeu de miroirs et de mirages, mais aussi jeu de hasard et de disparition.  Le sourire qui imprégnait le plus souvent ses visages enfantins peut alors se figer et s'éteindre. On passe de la lumière à l'obscurité, et l'oeuvre acquiert, dans un changement de palette, un destin dramatique trop souvent ignoré. 
Considéré par le peintre comme "l'élan vital" qui sous-tend sa création, le mouvement est aussi construction ; à partir du hasard, lorsque la picturalité (la tâche) construit le plus souvent le discours de l'œuvre, sa structure profonde, celle qui l'ouvre à sa vraie dimension ; ou bien, à partir de l'intention ou du projet, lorsque le dessin préparatoire, à peine ébauché, est l'architecture de la forme, sa vraie nature. Dans cet espace où les plans semblent gommés, la figure se dresse, primat inéluctable, et instaure une relation d'échange. Des lignes souvent interrompues esquissent le "réel" et structurent le "paysage" où elle trouve sa place, dans une dialectique formelle et de sens. Imbrication de plusieurs mondes, intérieur et extérieur, où il n'y a pas de limites, pas d'horizon. Si les lignes introduisent la modernité de l'espace, le rapport entre les figures et les traits noirs structure la pensée (figures-réel/lignes-pensée).

 

 

 

achiquito.jpg

Paris, avec Chiquito - vers 1989

 


Les strates du vagabondage d'Eliane Larus entre le réel et l'imaginaire, la réalité et la nostalgie, la pensée et l'affect, évoquent un monde beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Séduisante dans son innocence première, cette peinture de la parole interroge. (Le monde de) Larus est en mouvement, en renaissance permanente. Rien n'est fixé et dans cette apparente répétition des formes et des images, tout revit à chaque instant. Si le travail sur la couleur et les transparences est un élément fondamental de sa recherche picturale, le dessin, omniprésent, est non seulement la structure physique mais mentale de ces figures qui prennent corps dans son imaginaire d'adulte. Le regard de ses anthropoïdes au vague sourire, un peu statiques, asexués et sans âge, n'est pas seulement un point d'interrogation ou un effet d'étonnement ; il témoigne surtout de l'absence. Comme s'il s'agissait de la quête d'une ingénuité impossible, d'une naïveté regrettée, vers un paradis inaccessible.  Un état premier et primaire qui décrit une vision de l'homme à travers le temps, l'homme à la fois prisonnier de la ville (l'image de la ville peut être forte, très présente, mais comme un chaos) et libre de se promener dans l'espace de sa pensée et de la peinture avec un plaisir, une légèreté, une absence d'horizon et d'objectifs. Libre de ses mouvements. Comme l'enfant.
Plus qu'une nostalgie,  la réflexion iconographique, plastique et sensible de Larus est une sorte de méditation à la fois lumineuse (couleurs, fonds clairs, auras-auréoles) et sombre (lignes noires) sur le travail du temps, sur la rationalisation de la spontanéité. 
L'aventure intérieure d'une vérité illusoire. L'interrogation sensible et poétique d'une certaine innocence. En toute liberté de choix et de parole.

arbremortp.jpg

Paysage à l'arbre mort - acrylique sur bois - 80 x 80 cm -



Anne Kerner, critique d’art - 2000



Des airs de fête foraine. Où le fragile Monsieur Plume d’Henri Michaux se perd tantôt dans un rituel aztèque occulte et macabre, tantôt dans une cour de récréation bruyante, cabotine et rieuse. Parce que l’enfance est là. Toujours présente. Toujours au fond de soi. Pour mieux atteindre l’innocence, ces “espaces de pureté” dont parlait Joan Miro. Proche du paradis, la magicienne frôle pourtant aussi l’enfer. L’enfer d’une humanité un peu penaude. Parfois tragique. Ses personnages aux incroyables gueules candides et pathétiques regardent bien en face et interrogent. “Une société constituée d’innombrables solitudes”, dit-elle.
Elle peint ce qu’elle appelle “des idées de paysages” où elle dépose sa fantasmagorie personnelle de bonshommes et d’animaux. Car sa quête est avant tout un retour aux sources. Au primitif. Au primordial. A la liberté absolue prônée par ses pères du mouvement nordique Cobra qu’elle a découvert dans les années soixante-dix. Avec cette même passion pour l’art populaire, l’ubuesque et les jouets anciens de toutes sortes qui peuplent sa maison-atelier du treizième arrondissement parisien. Sa recherche invoque aussi “la limite du barbouillage le plus immonde et misérable et du petit miracle” comme l’écrivait le chantre de l’art brut, qui, ces années-là, devint son grand soutien moral.
Mais avant Dubuffet, avant Cobra,  avant cette “entrée en culture” —par-dessus tout rejet de la culture— il y eut la proximité riche et féconde des enfants auxquels Eliane Larus enseigna le dessin après ses études aux Beaux-Arts. Rien de prémédité donc, dans son voyage pictural. Simplement “la nécessité d’aller vers quelque chose que l’on ne connait pas, avoue-t-elle, pour tenter d’exprimer la vie.”

Ainsi, comme Calaferte, comme Macréau (avec lequel elle a exposé) cette jongleuse des matières met le doigt sur nos plus ardents désirs ou nos plus obscures angoisses, n’ayant de cesse d’éblouir l’œil par ses bariolages colorés. Mais ici, ni blessures ni plaies. Encore moins de sortilèges sanglants. Aux longues balafres exténuées, Eliane Larus préfère jouer des transparences. Elle frotte, caresse, gratte, griffe, hachure ses fonds où aujourd'hui les gris et les ocres dominent avec quelques éclats de jaune ensoleillé, de rouges stridents ou de bleus étincelants.
Pénélope moderne, elle fait et défait sans cesse le canevas de ses peintures avant le travail précis du couteau et du pinceau, d’où naît un univers fourmillant de rochers ou de maisons, d’arbres ou d’usines. Et encore ses foules de chiens, de chats, de bestioles en tous genres et bien sûr de figures gauches, déformées et informelles, rocambolesques. Des êtres. A la limite de la disparition. De la destruction.

Du chaos organisé d’Eliane Larus émerge un univers vibratile et poétique où elle raconte l’histoire de notre modernité.  Ses fables laissent trace.  A l’instar des Chants de Maldoror et des démons maléfiques et entêtants de Gabriel García Marquez. Une œuvre qui rafraîchit autant qu’elle dérange. Terriblement...
Plongée magique au cœur des misérables miracles où l’on voit pourtant des milliers de dieux.




a6v71.jpg

Jeux nocturnes - acrylique sur carton - 65 x 50 cm - 1990

 


Jean-Luc Chalumeau, historien de l’art - 2002

Le Continent-Larus



D'où vient Eliane Larus ?  Quel continent a-t-elle visité, dont rendent compte ses étranges tableaux ? Répondre qu'il s'agit de l'enfance est à la fois évident et insuffisant : il y a bien autre chose que des résurgences de graphies enfantines dans son univers. Se souvenir qu'elle a été au Mexique est intéressant, mais nous permet seulement de conclure que, à Oaxaca par exemple, où elle exécuta un dessin bouleversant sur un thème christique quelques jours avant l'éclipse de juillet 1991, elle a retrouvé ce qui était déjà en elle depuis longtemps. C'est à dire un équivalent de ce lieu clandestin où elle puise des formes à la vivacité abrupte, éléments d'un discours pictural dont la première caractéristique, me semble-t-il, est qu'il va de l'avant, qu'il est énergie avant d’être réflexion, qu'il est manifestation vitale d'un art n'ayant pas grand-chose à voir avec “l'art”, comme disait Robert Rauschenberg, mais tout à voir avec la vie.

Depuis l'origine, la peinture d'Eliane Larus est création anticulturelle, création en tant que mouvement vers l'inconnu et non aménagement de recettes connues. Voilà pourquoi la rencontre avec Jean Dubuffet allait de soi. Elle eut lieu vers 1981, alors que Larus avait déjà conquis son propre style. Pas question d'influence, donc, mais bien de connivence, et même davantage : Dubuffet constata immédiatement que, de l’œuvre d'Eliane Larus, “émane beaucoup d'émotion que je ressens fortement”.

Aborder l’œuvre de Larus implique un passage nécessaire par l'émotion. Sans quoi la relation d'échange entre l’œuvre et le regardeur ne pourra s'établir, et mieux vaut que l'émotion soit ressentie “fortement”, bien sûr !

 

ateterougep.jpg

Scène de rue à la tête rouge - acrylique sur toile - 150 x 150 cm - 1997

 


Dans le lumineux atelier de la rue Ricaut, à Paris, elle a accroché en bonne place la Scène de rue à la tête rouge de 1997. C'est devant ce tableau, très précisément, que j'ai éprouvé pour ce qui me concerne l'émotion ouvrant les portes de son univers. La tête rouge commande toute la composition. Elle dialogue chromatiquement avec une forme géométrique jaune indéterminée  — pan de jaune, comme dans la Vue de Delft de Vermeer tant aimée de Proust ? Il faut résister à la tentation des références “culturelles” qui ne sont pas de mise ici. Des maisons enchevêtrées, quatre personnages dont un enfant à plat ventre près d'une voiture peuplent le tableau qui se signale aussi par sa grande économie de moyens. Tonalités claires, matière mince et même liquide, soulignée par quelques plages de bleu transparent. Tout cela est bien présent, mais n'est pas le plus important. Pour comprendre ce qu'il y a de miraculeux dans ce tableau, je crois que l'on pourrait répéter à son propos exactement ce qu'écrivait Dubuffet à un ami en 1982 : “Mon but n'est pas de figurer un objet ou un site mais de figurer la pensée, de donner celle-ci à ressentir. Mon sentiment est qu'une œuvre doit s'adresser immédiatement à la pensée, mettre celle-ci en mouvement, et pour cela parler son langage, ou du moins parler un langage dans lequel la pensée peut se reconnaître. Elle ne le peut pas, à ce qu'il me semble, dans les images qu'on appelle réalistes”.

Non, vraiment, les images d'Eliane Larus ne seront jamais réalistes et oui, décidément, elles ont le don de mettre notre pensée en mouvement en la conduisant vers des territoires inconnus. L'artiste appartient à cette rare catégorie de créateurs qui s'obligent à un dessin apparemment malhabile, qui rejettent les lois de la perspective et donnent un aspect frontal à chacun de leurs tableaux. Les couleurs ne respectent pas forcément les contours des formes, c'est selon. Mais ces pseudo-maladresses ne sont pas celles que recherchait Paul Klee dans les graphies enfantines qu'il admirait pour leur fraîcheur. Ce sont bien plutôt celles qu'affectionnait Jean Dubuffet, trouvées chez les pensionnaires d'hôpitaux psychiatriques, parce qu'elles avaient le pouvoir d' “entraîner avec force l'esprit hors des sillons où il chemine habituellement”.

apaysagemarp.jpg

Paysage à la marelle - acrylique sur bois - 100 x 100 cm - 1991


Soit un tableau parmi les plus construits d'Eliane Larus : Paysage à la marelle (1991). Le peintre affectionne la technique de l'acrylique sur panneau de bois parce qu'ainsi, dit-elle, elle peut gratter. Les contours sont en effet incisés dans un fond sombre alternativement noir et bleu outremer, de telle sorte qu'ils apparaissent clairs. Une marelle en constitue l'axe central, autour duquel s'ordonnent des personnages, des animaux et des formes géométriques. Michael Lecomte a eu raison de parler de “magie nocturne” à propos de cette œuvre merveilleusement réussie alors même que, comme d'habitude chez Larus, la plupart des règles classiques du “bien peindre” sont niées ou oubliées. Il se produit ici, avec une force particulière, un dévoilement par quoi surgit en nous l'idée de beauté.

Comme toujours chez les peintres de quelque envergure, le tableau est ici un corps second dans lequel le corps premier, c'est-à-dire le monde des objets et des sensations ordinaires, se trouve prisonnier. C'est ce corps second seul, dès lors que le peintre a réussi à le faire naître, qui noue les incompatibles et se joue des paradoxes comme des ambiguïtés. Le corps second n'est plus vraiment représentation du monde, même si je discerne bien, dans les autres tableaux de Larus, ici un enfant dont la tête pousse au bout de l'épaule, là un chien à deux pattes (ce qui n'est nullement gênant) ou alors, ce monde comme représentation part du monde comme volonté, et c'est la volonté qui est ici visible, bien davantage que la “représentation”.


enferp.jpg

L'enfer - acrylique sur bois - 180 x 154 cm - 1988


L'art n'a jamais été pur abandon au hasard, ou bien soumission exclusive à une technique. L'art selon un peintre comme Eliane Larus naît d'un double mouvement : effort de l'artiste, d'une part, pour dépasser son savoir et aborder des zones vierges, effort du spectateur d'autre part, pour surmonter les fragments narratifs dont il pourrait être tenté de se contenter au premier degré. Mallarmé a dit une fois pour toutes qu'il convient de distinguer le langage de la communication de celui de la création.

L’œuvre d'Eliane Larus parle le langage de l'art, non celui des “communicants” d'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'elle travaille dans l'éternelle non-coïncidence entre le langage (celui des mots comme celui des images) et la banalité du monde. Ne nous étonnons plus, dès lors, de la multiplicité des procédés figuratifs utilisés dans le même tableau, ne nous étonnons plus de ces espaces sans profondeur autre que picturale, pas plus que de ces ruptures insolites et de ces basculements étranges (par exemple celui sur lequel est construit l'admirable Femmes au palmier de 1989) ou encore de ces dessins qui “se promènent”, selon l'expression de l'artiste, sans doute témoins d'une enfance secrète et révolue, mais avant tout agents d'une démarche conduite sans le moindre esprit de concession.


palmiersp.jpg

Femmes au palmier - Acrylique sur carton - 82 x 50 cm - 1989


Comme Jean Dubuffet, Eliane Larus enfreint avec gourmandise les conventions. Particulièrement, comme l’écrivait le maître en 1976 : “
cette autre convention des plus tenaces qui prescrit aux figurations dans un même tableau d'être toutes présentées selon une clef uniforme adoptée par le peintre une fois pour toutes.

Il n'y a pas une clef pour parvenir au continent-Larus, on l'a compris, mais une multiplicité de clefs. Il suffit de bien regarder un seul de ses tableaux pour en découvrir quelques-unes. C'est assez pour entrer dans d'autres tableaux et, de proche en proche, errer librement avec délices dans un monde radicalement différent du nôtre bien que toujours familier. Au fond, quel autre moyen avons-nous de goûter, selon le vœu de l'artiste pour elle-même, “la liberté des fous et le génie inconscient de l'enfant” ?



pinocp.jpg

Pinocchio à Bruxelles - acrylique sur bois - 130 x 162 cm - 1996

 


Françoise Monnin, historienne de l’art - 2007



"Tout cela est à prendre plus au sérieux que tous les musées des beaux-arts, dès lors qu'il s'agit de réformer l'art d'aujourd'hui", écrit le peintre Paul Klee en 1912, à propos des dessins de fous et d'enfants. "Cette espèce d'émotion" dit-elle, propre aux êtres débridés ou pas encore formatés, c’est ce qu’a toujours traqué Eliane Larus, depuis sa sortie de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, en 1970. De la découverte des toiles de Klee, comme de celles de Miro et de Picasso, elle se souvient comme de ses « premières histoires d'amour ». L'onirisme et l'innocence de l’imagination, lorsque celle-ci évolue en liberté, voilà ce qui importe.
En 1972, elle découvre qu’elle n’est pas seule à vibrer ainsi, face à tout ce qui jaillit intuitivement, du plus profond des êtres. Chez le collectionneur Alain Bourbonnais, elle s’émerveille des tableaux et des sculptures réalisés par des créateurs dits hors normes. Le premier d’entre eux historiquement, Gaston Chaissac, s’est épanoui au contact des peintures qui décoraient la classe de son épouse, institutrice. Eliane Larus elle aussi enseigne, un temps, la peinture à des tout petits, dont elle se sent complice.
Elle dessine beaucoup. Dans le même temps, elle commence des collections d'objets populaires : ex-voto italiens, céramiques sud-américaines, tricotins et autres babioles en bois sculpté... Tout ce qui véhicule "une poésie du dérisoire" la concerne. Une "humanité fragile, aux perpétuelles interrogations, au destin précaire" s’incarne progressivement à travers de petits personnages, dont les silhouettes s’imposent vivement. Élémentaires, légèrement désarticulés, plus apparentés aux marionnettes qu’aux humains, ils semblent flotter davantage que cheminer, dans un non-lieu, intemporel, indéfini. Jean Dubuffet, qui a inventé trente ans plus tôt le concept d’Art Brut, juge ces premiers travaux, écrit-il, animés d’une "verve très inventive".

 

aabohêmp.jpg
Siège Bohêm de Philippe Starck, revisité
Altuglas, dessin au plomb, vernis vitrail - hauteur : 46 cm - 2001

 


Elle travaille intensément, expérimente à la fois les supports végétaux et les substances industrielles, dont les vibrations constituent une manivelle pour son inventivité : bois découpés, tôles rouillées, cartes à gratter et même peinture pure (les « peaux de palette », des flaques de matière qui une fois séchées constituent des pans)… La nature riche de tous ces plans suggère des contours, et ces contours délimitent des territoires morcelés, des figures actives. Une fibre se fait arbre, une bulle, œil, une tache, tête. Et lorsque cela ne suffit pas, l’artiste trace quelques signes. "J'ai besoin de structurer avant de peindre". Souvent grattée, au couteau parfois, la ligne est irrégulière, surprenante, idéale pour délimiter des terrains vagues aux horizons minéraux, des êtres fragiles aux regards interrogatifs. Les tremblements des contours incarnent une sensibilité extrême, une grande vulnérabilité. Les contrastes et les nuances de la palette, quant à eux, toujours lumineux, toujours sensuels, n’en finissent pas de chanter l’existence, d’en célébrer le mystère radieux.
Au fil des saisons, des cycles se succèdent. Couleurs, formats, techniques se renouvellent, toujours au service de cette drôle de tribu, nomade et attendrissante, apparemment inoffensive et cependant inévitable. Elle n’en finit pas de témoigner de l’immensité du Monde et, à sa surface, de la permanence de nos présences. Entre 1984 (date à laquelle la galerie Cérès Franco présente Larus à la Foire Internationale d'Art Contemporain de Paris) et 1998, la planète des Larussiens s’impose aux cimaises de tous les lieux présentant l’art vivant. La reconnaissance des artistes dits Singuliers et l’avènement d’un mouvement nommé Figuration Libre valident la sincérité de telles peintures.
"L'aventure du pictural peut-elle aller plus loin ?" se demande l’artiste à présent. Quotidiennement attelée à son chevalet, elle n’en finit pas, cependant, de prouver qu’il s’agit moins, pour elle, d’avancer que de témoigner. Nous dire et nous redire que naître, c’est se perdre et que s’éblouir c’est se trouver, exige en effet d’ignorer les modes. Cette peinture n’est pas un luxe mais une nécessité. Au peintre Paul Gauguin, demandant au début du 20ème siècle « Qui sommes-nous, d’où venons nous, où allons nous ? », chacune des œuvres de Larus répond que nous sommes. Et que c’est énorme.

325p.JPG

"325" - encres diverses sur papier buvard - 12 x 17 cm - 2009




Frédéric van Acker - Plasticien - 2007



Née en 1944, Eliane Larus fait partie de ces artistes qui cantonnent consciemment leur créativité à l’en-deçà d’un art cultivé, chargé des références encombrantes de l’homo aestheticus. A la suite d’un Jean Dubuffet poursuivant sa quête d’une spontanéité intacte dans l’art asilaire, les productions d’enfants ou l’art naïf, Eliane Larus depuis les années soixante-dix, développe sa poésie où se côtoient des figures humaines cabossées, des bêtes, des petites entités, des formes incertaines qu’elle veut « innocentes mais pas naïves ». Autant dire que son travail se charge d’un certain sens.
De ses interventions en écoles primaires, elle aura retenu un graphisme saccadé, hésitant, parfois nerveux (elle parle de griffures agacées), une mise en page souvent décalée, des compositions quelque peu anarchiques, une simplicité primaire, primordiale ou primitive (comme on voudra) qui ne manqueront pas d’évoquer Gaston Chaissac. Par communauté d’esprit sans doute : le poids de l’influence n’est pas toujours très clair.
Certes, on reconnaîtra une brutalité plus sulfureuse aux artistes comme Martin Disler ou A.R. Penck, par exemple, qui à leur manière apportent une suite plus contemporaine aux engagements de Dubuffet, mais ce serait au prix de cette petite chose curieuse qui traverse imperturbable, l’œuvre d’Eliane Larus : comme une légèreté grinçante.

 

 

aaaz27.JPG
Portrait de Frida - Bronze - 13,5 cm x 9 cm - 2010


Michael Lecomte - 1994


(…) Cependant, le monde d’Eliane Larus a été longtemps regardé comme celui de la fête foraine ou du cirque, et la formule “figures clownesques”, ainsi qu’un fil gorgé d’une encre distraite, s’est plus d’une fois accrochée à la plume des critiques d’art.
Son œuvre est en effet déroutante à plus d’un titre. Mais nous verrons que cela n’empêche pas les personnages qu’elle a imaginés d’exister avec force et de montrer de l’invention. Son champ est vaste et ses sujets semblent illimités. Cela va de L’enfer au Paradis en passant par kobolds et sirènes, du minéral à l’animé en déclinant rochers, rivières, plantes, étoiles, hommes, chiens, chats, souris, bestioles diverses aux formes inattendues et cocasses, aux expressions touchantes et vraies. Les uns sont définis par une géométrie ludique remarquablement maîtrisée, les autres par une insolite humanité. Il s’agit d’un petit monde en soi, foule de portraits que la simplicité de leur titre a rendus aussi pathétiques qu’étonnamment ordinaires.
Une grande fraîcheur d’esprit servie par un souci plastique constant fait d’Eliane Larus un des rares peintres qui peuvent encore peindre une maternité sans prêter à sourire.
Les titres qu’elle donne à ses œuvres permettent de se livrer aisément au jeu des rencontres fortuites. Cela peut donner ce genre de fantaisie :
En haut de la scène le Petit chef indien enlève dans le chaos du Paysage menacé La voyageuse sous les yeux ébahis du Bonhomme fil de fer.
En bas, dans le Paysage aux squelettes, Tina ,effrayée par la Tête masquée, préfère se jeter dans les bras incertains du Bonhomme-balance. Tandis que l’Enfant aux cheveux rouillés joue à La marelle dans La maison hantée...
Nous pourrions ainsi nous amuser à l’infini - aidés ou non par des cadavres exquis- en disposant à notre guise les titres des peintures d’Eliane Larus. Ce jeu permettrait peut-être de nous convaincre que malgré la présence d’une Venus au bidon, d’un Bonhomme haut comme trois pommes et de plusieurs Chiens équilibristes, son univers appartient plus à la poésie qu’au cirque, et qu’il y a moins de poésie sous les vrais chapiteaux que dans ceux imaginés par les peintres, cinéastes ou écrivains.
Les clowns montrant d’ordinaire assez peu d’invention dans la peinture de leur visage, nous oublierons le cirque en lisant ce passage d’une lettre que Jean Dubuffet écrivait à Eliane Larus le 6 mai 1981 :
“Je vois avec plaisir que vos travaux dans l’année écoulée se sont activement développés et épanouis. Les belles photographies que vous me communiquez en témoignent. Elles sont impressionnantes. Une verve très inventive s’y manifeste continuellement, à partir de leur conception et tout au long de leur exécution. Les peintures qui les historient sont des plus savoureuses et pleines de trouvailles dans tous leurs détails. En émane beaucoup d’émotion que je ressens fortement...”

Vers la fin des années soixante-dix, alors quelle n’a qu’une connaissance fragmentaire de l’œuvre de Dubuffet et de Chaissac, on reproche souvent à Eliane Larus d’être sous leur influence. Bientôt contrariée autant qu’intriguée, elle consulte les livres, est vite saisie par le talent extraordinaire de ces deux fortes personnalités. L’un est à l’évidence d’une culture et d’un brio étourdissants; elle voit en l’autre le prince des Singuliers. Elle découvrira plus tard que Chaissac est lui aussi un homme de culture qui, comme son découvreur, pense, invente, écrit comme personne. On ne peut nier qu’il y ait similitude entre l’art de ces deux grands artistes et le sien. Un long moment son univers vacille. Comme elle ne sait plus quoi penser, et Gaston Chaissac étant mort depuis longtemps, je lui conseille alors d’entrer en rapport avec Jean Dubuffet.
Cet homme passionné, fin, lucide, va tout de suite la rassurer. Durant ces années difficiles pendant lesquelles personne ne s’intéresse à elle (ni galeries, ni Salons) Jean Dubuffet va lui écrire, l’encourager, la faire entrer dans la Collection Neuve Invention du Musée de Lausanne, lui dire avec des mots touchants et superbes l’intérêt qu’il porte à sa peinture.
Grâce à l’inventeur du Pisseur à gauche et de L’ourloupe, E. Larus va découvrir l’Art brut, formule créée par lui en 1948 et qu’il définira plus tard avec précision, désignant l’art des isolés, des sans grades, des "incultes". Pour Larus, c’est art-là, émouvant et inventif entre tous, semble puiser ses inventions aux racines du monde.
Elle comprend alors que si on l’a trop souvent rapprochée de Dubuffet, de Chaissac, et des Cobra, c’est moins pour raison d’influence que par coïncidence de sources. Depuis plusieurs années, pour assurer son quotidien elle passe la plupart de son temps à faire dessiner des enfants. En retour, ceux-ci lui ont inconsciemment transmis l’une des bases essentielles de l’art de notre temps : la liberté. Avec Dubuffet, Chaissac et les Cobra, elle a ce point commun important : à la recherche, comme eux, d’une expression primordiale, instinctive, elle a été, elle aussi, subjuguée par l’enfance. Elle fait partie de ceux qui sont secrètement hantés par cette mélancolie.
Chez certains créateurs, quel que soit le mode d’expression, la nostalgie de l’enfance est le symptôme, la marque d’un talent soutenu. Fellini en est un bon exemple pour le cinéma, Colette, pour l’écriture. Chez quelques peintres - parmi lesquels se trouvent quelques-uns des artistes les plus importants du siècle - les stigmates sont encore plus évidents. Le regret d’un temps riche en sortilèges et irrémédiablement perdu est une des clés douloureuses du génie.
L’enfant ne s’exprime pas d'une façon confuse seulement à cause des limites de son vocabulaire et de la précarité de son jugement, mais aussi parce qu’il est immergé dans l’inexprimable. Pour cela, il est seul - avec le poète et le saint - à être présent à la réalité du monde. Avec eux il pourrait oser dire, lors des moments les plus aigus de ses contemplations : “je ne pense pas, donc je suis”.
(…)


Art transit, Editions Fus-Art, 1994

 

 

 

aaaportraitLarus.jpg

Dans l'atelier, Paris 13

 

 

 


almodovarp.jpg

Avec Eve Ruggiéri et Pedro Almodovar à l’occasion de l’Hommage à la Création Européenne en 1992

 

 

 


Photographies :

Berthrand Reneau

Eunice  Chao

Alexis Lecomte

Caroline Abitbol

 

 

 

aaa041copie2.jpg
A Paris, dans l’atelier de la rue Ricaut - 1988

 

 

 

A l'adresse http://larus.hautetfort.com/

on trouvera un site illustré sur le parcours d'Eliane Larus regroupant des textes écrits par elle-même.


A l'adresse  http://www.artactif.net/arttransit/

on trouvera en ligne le livre Eliane Larus, Art Transit, dont voici une sélection d'images :

 

aaaoeuvres.jpg


A l'adresse http://bonbonsperdus.hautetfort.com/ on trouvera le recueil en ligne Bonbons perdus (poèmes et histoires très courtes de genre surréaliste) de Michael Lecomte.

 

email de Michael Lecomte : m.lecomte@noos.fr

email d'Eliane Larus : larus@noos.fr

 


Les commentaires sont fermés.